Une princesse humiliée réclamant d’être sacrifiée, un roi machiavélique bâtissant son empire à coup de complots et de sacrifices humains, un poète entonnant une chanson d’amour lancinante pour protester contre l’oppression de son peuple, une esclave offerte aux conquistadores devenue interprète et diplomate… Ces figures qu’on croirait sorties d’un roman historique, Camilla Townsend les fait revivre pour dresser un panorama épique de l’histoire des Aztèques : leur longue migration depuis les déserts du Nord du Mexique, la fondation d’un modeste village sur une île du lac Texcoco, devenu au cours des siècles la gigantesque cité lacustre de Tenochtitlan, commandant un empire d’une ampleur et d’une puissance jusqu’à alors jamais égalée, leur survie, malgré la conquête du Mexique par l’Espagne et l’imposition d’un ordre colonial brutal.
Plutôt que de se fonder sur des sources espagnoles, colportant trop souvent des visions stéréotypées et méprisantes des populations autochtones, l’historienne se focalise sur les sources écrites par les indigènes, longtemps rejetées aux marges de la connaissance historique, car jugées trop peu fiables et écrites dans une langue que peu de savants européens maîtrisaient, le nahuatl. Loin des clichés qui leur sont trop souvent associés – un peuple superstitieux, obsédé par une religion morbide, capitulant sans résistance face à des Espagnols qu’ils prennent pour des dieux – Camilla Townsend met en lumière la fierté des Aztèques d’appartenir à un peuple qui a conquis sa place à la pointe de la lance, la complexité byzantine de leurs intrigues de cour, le raffinement de leur poésie, la richesse des métaphores et des expressions que recèle leur langue, leur humour, et enfin, même au-delà du drame de la conquête espagnole, leurs extraordinaires capacités d’adaptation et de survie.
Un ouvrage historique qui tombe à point nommé, puisque le Quai Branly accueille jusqu’en septembre 2024 une exposition spectaculaire consacrée à la sanglante et fascinante religion Mexica (« Mexica. Des dons et des dieux au Templo Mayor », Musée du Quai Branly, du 3 avril au 8 septembre 2024).